La société japonaise Kagome, deuxième productrice mondiale de tomates, va ouvrir une unité industrielle dans la zone de Saint-Louis. Piqués au vif, des acteurs de la filière sénégalaise de « l’or rouge » alertent sur les dangers qui menacent ce secteur névralgique devenu la chasse gardée de puissants groupes transfrontaliers.
« Le président de la République, qui évoquait le suivi de la coopération et des partenariats, s’est félicité de l’ouverture prochaine d’une unité industrielle de la société japonaise Kagomé, deuxième productrice mondiale de tomates, dans la zone nord (Saint-Louis, Dagana). Le chef de l’État a demandé au Premier ministre de présider la cérémonie de lancement de la filiale sénégalaise de Kagome, en vue d’encourager cette première expérience dans le domaine agricole au Sénégal, une initiative en parfaite adéquation avec notre stratégie de développement des chaînes de valeurs et de création d’activités génératrices de revenus en milieu rural. »
Ainsi est libellé le faire-part de naissance de cette usine de tomates, glissé dans le communiqué du dernier Conseil des ministres.
Ingrédient essentiel dans la tradition culinaire locale des pays de la Communauté économique des États d’Afrique occidentale (Cedeao), le concentré de tomate reste, pour des méthodes inadaptées de culture et un niveau élevé de stress phytosanitaire, un produit loin d’être florissant en termes de qualité et de quantité. Aussi, presque tous les dérivés de tomate consommés dans cet espace sous-régional dépendent des importations. Une brèche dans laquelle veut s’engouffrer la multinationale japonaise.
Deuxième productrice mondiale de tomates, Kagome nourrit le dessein de booster sa compétitivité, car la société prévoit de réaliser elle-même tout le processus, de l’obtention des semences à la production agricole, en passant par la transformation et la distribution. Considérant l’entreprise verticalement intégrée comme une base pour la promotion de son activité, Kagome va tester ce modèle au Sénégal, contribuer à la promotion de débouchés pour la distribution des dérivés de la tomate au Sénégal et en Afrique occidentale et créer de nouvelles opportunités commerciales à l’international.
Un champ savamment défriché
Mais, des voix autorisées, loin d’être agréées par une telle perspective, n’ont pas tardé à tirer la sonnette d’alarme. Pour, disent-elles, « éviter à la filière tomate sénégalaise de mourir de sa belle mort et de tomber entre les mains de puissants groupes transfrontaliers ». Citant un communiqué de presse publié le 27 octobre dernier par la société Kagome Co Ltd, qui a porté sur les fonts baptismaux sa filiale Kagome Sénégal Sarl le 1 décembre 2017, nos interlocuteurs expriment leurs craintes sur les visées de la multinationale nippone « qui prévoit d’étendre, à l’avenir, ses activités au domaine de la fabrication de dérivés de tomate et de se lancer sur le marché de la tomate transformée au Sénégal et dans les pays membres de la Cedeao) ».
Leur peur est d’autant plus justifiée que « Kagome- qui dispose depuis mars 2016 d’un Centre de développement et de recherche pour l’industrie alimentaire au Portugal et compte mettre en place une nouvelle zone de culture de tomates au Sénégal en faisant appel aux ressources techniques agricoles des diverses filiales du groupe, notamment l’obtention de semences et les techniques culturales-, a exploré le potentiel pour la culture et la transformation des tomates au Sénégal entre 2014 et 2017 en se servant d’une étude fouillée de l’Agence de coopération internationale japonaise (Jica) ».
Un travail exploratoire dont les conclusions sont sans appel : « Le Sénégal dispose de terres bien adaptées à la culture des tomates et le risque sécuritaire y est moindre en raison de la situation politique plus stable que dans d’autres pays de la Cedeao. Le pays dispose d’un accès prometteur à des marchés pour la tomate d’industrie qui sont géographiquement proches, dont le Nigeria et le Ghana, en complément de son marché national. Et, cerise sur… la tomate, l’Agence japonaise pour le commerce extérieur (Jetro) a accordé aux efforts de Kagome le statut de projet de démonstration pour le commerce en Afrique en 2017. »
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